Les étudiants de la Web School Factory étaient présents ce mardi 25 mars pour la douzième édition du Mash Up. Pour cette nouvelle édition nous avons été accueillis dans le Tribunal de Commerce de Paris situé sur l’île de la Cité. Trois intervenants étaient présents pour nous livrer leur expérience à propos de l’ascenseur émotionnel dans entrepreneuriat, à savoir : Frank Gentin, président du Tribunal de Commerce, Stéphane Cohen, fondateur du cabinet d’experts comptables Wingate et Olivier Younes, fondateur d’Expen. Claire Cano, fondatrice de LuckyLoc, était également présente pour nous rendre compte de son expérience.

 

Pour Frank Gentin, une des particularités du Tribunal de Commerce est sa hauteur de plafond. C’est une valeur ajoutée essentielle car elle installe une forme de respect. Pourtant,  il ne faut  “jamais se laisser impressionner par le cadre : c’est juste pour nous mettre une pression. Il ne faut pas que cela marche”.

Qu’est-ce que c’est que l’ascenseur émotionnel pour un entrepreneur, une entreprise ?

 

Selon Claire Cano, les petits échecs dans entrepreneuriat sont un peu comme le fait de rater des trains. Au jour le jour, nous avons de petites réussites et de petits échecs. Cela peut être par exemple des échecs commerciaux. Cela nous demande de la philosophie, de l’entourage pour s’aider à continuer, et de la remise en question. Car commercialement, il faut toujours se remette en question pour satisfaire le client. Un deuxième type d’échec est le mécontentement du client, ce qui a tendance à marquer l’entrepreneur. Enfin, les échecs peuvent être humains car entrepreneuriat est avant tout une expérience humaine.

Toujours selon Claire Cano, un jour peut être déprimant quand un autre jour peut arriver avec trois bonnes nouvelles : c’est l’ascenseur émotionnel. Ces réussites procurent une réelle satisfaction. Entrepreneuriat amène une joie immense lorsqu’on réussie quelque chose et même les échecs procurent des opportunités qui les compensent.

Frank Gentin, à quoi sert le tribunal de commerce ? Comment interfère-t-il avec la vie des entrepreneurs ?

 

“D’abord, le Tribunal de Commerce tient le registre du commerce des sociétés, un état civil des entreprises (une fiche avec les éléments importants de l’entreprise). Cette mission est assurée par des greffiers sous le contrôle des juges du Tribunal de Commerce. C’est la mission “maternité” du Tribunal de Commerce.

Il doit ensuite régler les litiges entre les entreprises. En matière économique, il faut régler les contentieux très rapidement : on ne peut pas attendre des semaines. C’est la grosse partie du travail du Tribunal de Commerce.

Il faut aussi traiter des difficultés des entreprises. Lorsqu’une entreprise est en cessation de paiement, le Tribunal de Commerce a pour mission de traiter les difficultés de l’entreprise, et voir si elle peut survivre ou s’il faut la liquider.

Enfin, une nouvelle mission est venue s’ajouter aux trois précédentes ces dernières années : anticiper les difficultés des entreprises. Ce sont des procédures de prévention car il vaut mieux traiter les difficultés le plus en amont possible.

Contrairement au juge normal, il ne s’agit pas seulement de trancher au Tribunal de Commerce. Il faut chercher la concordance. De plus en plus, on essaie d’y trouver des solutions négociées plutôt qu’imposées. On traite ici les choses en discutant, car les solutions négociées sont toujours meilleures.”

 

Comment voyez vous l’échec et le rebond ?

“Nous sommes dans une civilisation judéo-chrétienne très marquée par les échecs. Les entreprises viennent ici à reculons avec le sentiment d’échec qui entraîne la peur des sanctions qui sont liées à l’échec. Le risque amène parfois à l’échec. Il faut sortir de ce jugement de valeur dans lequel on pense que l’échec en entrepreneuriat n’est pas bien. C’est dans les échecs que nous tirons les meilleurs enseignements. Une des causes principales de l’échec, c’est le délit du réalisme : après coup, on se dit que évidemment, cela ne pouvait pas marcher. La maîtrise des émotions est une nécessité absolue sur le long terme.

 

Olivier Younes, qu’est-ce que le VC ? (Venture Capitalism)

“C’est l’un des métiers les plus excitants de la finance. Le VC est un investisseur en capital. Le succès fait partie de l’aventure. Mais en finançant des entreprises très jeunes et très innovantes, on se trouve face à tous les risques et toutes les peurs. Finalement, il y a une forme d’ambiguïté : le VC est très vigilant par rapport aux difficultés, mais il prend de gros risques.

En général, une jeune entreprise est mono produite et mono marché : on se retrouve donc vite face à des risques existentiels. À partir de là, il faut être très vigilant en tant qu’investisseur : car si nous accumulons trop d’échecs, nous même pouvons disparaître. Le métier d’investisseur est un métier arrogant car nous y jouons notre survie et notre notoriété, alors qu’en même temps nous ne sommes spécialiste de rien.”

 

En tant qu’investisseur, quelles sont les entreprises sur lesquelles on réussit à faire une plus-value et celle sur lesquelles on ne réussit pas ?

 

“Cela dépend du moment où nous investissons.  À mesure que l’on investit à un niveau de stabilisation fort des entreprises, les plus-values s’approchent de zéro.”

Stéphane Cohen, comment résister à toutes ces difficultés sentimentalement et mentalement ?

 

“Souvent on voit sur le visage les nouvelles bonnes ou mauvaises apprises dans la journée par l’entrepreneur. C’est un ascenseur émotionnel. Ils partent le matin le couteau entre les dents pour conquérir des marchés. Cela ne marche pas tous les jours. Tous les chefs d’entreprises ont connu des échecs. Cela fait partie de l’entreprenariat, que nous le veuillons ou non. Si nous ne pouvons pas gérer cette culture émotionnelle, il ne faut pas aller dans entrepreneuriat. Il faut savoir gérer d’un côté le développement de l’entreprise et de l’autre les attentes d’un tribunal et les paiements à régler. Être entrepreneur, c’est fantastique car nous grandissons chaque jour de nos échecs. Il faut savoir rebondir et reconquérir les parts de marchés.”

 

Quels sont les conseils pour prévenir un maximum de difficultés ?

 

“Il faut toujours avoir un coup d’avance lors de la création de l’entreprise. Il faut avoir aussi des fonds propres suffisants et bien mesurer son business model. S’il est rentable, sur combien de temps ? En France, les taux de marge sont les plus faibles au monde car on ne s’en pose pas assez la question. Tout est dans l’anticipation : il faut savoir réfléchir en amont, savoir traiter le débat des difficultés et ne pas l’esquiver, ne pas tomber dans le déni de réalité : le champ des possibles se limiterait et le risque de ne pas s’en sortir apparaîtrait alors.”

 

Quels sont les signaux financiers qui prévoient des grosses difficultés ?

 

“Il faut pouvoir anticiper la baisse d’un carnet de commande. Il faut lire, comprendre son marché, et se challenger en permanence.”

 

Que pensez vous de la vision de l’échec en France ?

 

“En France, autrefois, la faillite était infamante. Cette culture est restée encore longtemps et elle existe encore un peu. Alors qu’aux États-Unis, la culture est différente : on considère que les entrepreneurs qui ont connu des difficultés ne reproduiront pas les mêmes erreurs. Les difficultés peuvent être très difficiles à vivre mais l’échec est une option qui nous permet de grandir.”

Stéphane Cohen, Olivier Younes et Franck Gentin,de quoi faut-il partir lorsqu’on a une idée pour entreprendre ?

 

Stéphane Cohen : “Être entrepreneur, c’est aussi engager avec soi un certain nombre d’acteurs. Au delà du rêve, on espère connaître le succès. Donc oui pour le rêve, à condition de le financer. Il faut être capable de financer, par exemple, deux ans de perte. Il faut se poser en permanence la question du modèle économique.”

 

Olivier Younes : “Il faut commencer par s’assurer que l’entreprise est viable et se poser quelques questions de bon sens : à quel marché l’entreprise va-t-elle pouvoir répondre ? Quel est le business model ? Dans quelle mesure va-t-elle pouvoir mettre en place son plan d’action ? Si les trois points sont cohérents entre eux, alors on tient quelque chose, sans tomber dans trop d’optimisme.”

 

Franck Gentin : “Quand j’ai monté ma première affaire, je suis allé voir les clients. Et lorsque j’ai trouvé mon premier client, j’ai monté ma première affaire.”

Entreprendre consiste donc en un ascenseur émotionnel où les succès et les échecs se succèdent. Il faut retenir que si ces succès correspondent à des moments de grande satisfaction, les échecs sont à prendre comme ce qu’il y a de plus normal. C’est même peut être eux, finalement, qui sont les plus gros moteurs de entrepreneuriat dans le sens où ils nous font avancer, ils nous obligent à nous dépasser. Apprendre de ces échecs pour mieux appréhender le futur et réaliser ses plus grands succès est donc le quotidien de l’entrepreneur.

La conférence s’est terminée par un concours de pitch de dix start-ups qui étaient : Noosfeer, Le nouvel optimiste, Bricktown, Learning Box, Feelin’, Illicolis, YesPark, Room Agency, EZap et Rookiz. Chaque représentant des start-ups avait deux minutes pour pitcher, et c’est finalement Learning Box, proposant des défis pédagogiques dans une boîte ludique pour enfants, qui s’est vu remettre le prix du meilleur pitch par France Digitale.