Cette semaine, j’étais avec ma classe en cours de design produit, et nous avons traité une question extrêmement pertinente qui mérite, à mon sens, de sortir de nos tableaux blancs. Comment fait-on payer pour de la presse numérique ?

Durant cet exercice, nous avons réalisé tout un travail en amont pour comprendre l’expérience qu’a cette génération avec les médias. Et ce sont les conclusions de cette recherche que je me propose de vous dévoiler ici.

On dit souvent que la génération Y lit de moins en moins, et cela impacte aussi énormément l’audience des journaux numériques qui n’attirent plus la jeunesse. Pourtant c’est faux, elle continue à lire, mais c’est la manière dont elle s’y prend qui est différente. Un des constats fondamentaux est la manière dont les jeunes se comportent sur un réseau comme Twitter ou Facebook. Ils restent constamment dans le flux. Contrairement aux générations d’avant, ils vont rarement directement sur les canaux des médias de masse, ils se contentent de rafraîchir le flux d’actualités de Facebook et de scroller : lisant les titres, s’attardant pour commenter un titre avec un ami ou apposant un like pour symboliser un avis positif.

La notification supérieure à l’article !

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Ce n’est plus l’article mais le titre et son chapeau qui priment. Et ce n’est que sous le coup d’une émotion ou d’une surprise que l’utilisateur ira plus loin, ce qu’on appelle une accroche. Certains l’ont bien compris et utilisent le clickbait, vile pratique qui a su faire ses preuves. Mais qu’est-ce que cela implique ? Cela implique que la notification est supérieure au contenu. C’est la crête d’un évènement qui est suivi car « lorsqu’on a lu un article, souvent on les a tous lus ». Et parce que la notification est supérieure à l’article, il y a un naturel désintérêt pour son producteur.

Personnellement, la première fois que j’ai fait l’expérience de ce système fut lorsqu’une amie, dont je tairais le nom, m’a identifié pour me partager un article : La cigarette électronique 15 fois plus cancérigène que la cigarette ! Titre bien accrocheur, si vous voulez mon avis. Le problème ? l’article n’existait pas, lorsqu’on clique dessus, on se retrouve sur un “404 not found”. Dans le doute, j’ai demandé à mon ami google. Aucune trace d’un tel titre. Pire que le Gorafi, de l’intox gratuite sans même un contenu derrière. J’étais déçu, autant pour elle, qui n’a pas pris la peine de cliquer sur l’article pour vérifier autrement que par le nombre de repartage (qui était en milliers).
Ainsi non seulement le titre est supérieur au fond, mais lorsque le fond est malgré tout lu (car j’ai été appâté), on se fiche de savoir chez qui on atterrit, on lit, on s’informe et on s’en va sans retenir l’auteur ou le journal. Pourquoi ?

Pourquoi se fiche-t-on autant de l’auteur d’un article ?

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En grande partie à cause des interfaces qui nous amènent l’information. Et commençons par Google avec un sujet absolument non polémique #ironie : la guerre en Syrie. Les plus avertis sauront retrouver du premier coup d’oeil les médias auteurs de ces articles. Les autres prendront légèrement plus de temps (10 à 40 secondes) pour les trouver. Seulement voilà, c’est parce que je vous demande de chercher ces informations que vous le faîtes. Qu’en est-il de la réalité de l’usage ? Comme la plupart, vous tapez vos mots-clés puis vous vous concentrez sur les titres et sous-titres qui vous permettront de trouver l’information qui vous intéresse. Le reste est balayé de votre mémoire immédiate par habitude (c’est le principe de Miler). Et de même lorsque vous irez sur le site en question, par habitude structurelle, vous regarderez très peu les zones extérieures à l’article, vous interdisant par la même occasion de vous rappeler du journal. Et puis de toute manière, ce n’est pas ce que vous cherchiez ?

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Sur Facebook et Twitter, c’est bien pire. Trouvez depuis le flux d’actualité qui est l’auteur d’un article devient bien plus compliqué. Attention, je ne dis pas que vous ne trouverez pas rapidement. Je dis simplement que le format est pensé, en terme design, pour ne pas être vu. Il y a d’abord l’intensité de couleur et la taille de police de l’auteur – plus elle est basse, plus l’utilisateur enregistre culturellement cette information comme non-pertinente ou sans conséquence. De plus, le format est le même pour tous les journaux, imposé d’office par Facebook qui s’en arrange très bien, réduisant d’autant l’importance de la source. Ajouter à cela que de toute façon « tous les médias font les même articles » comme me disait un camarade, et on se retrouve avec des médias de masse qui provoquent un profond désintérêt pour la génération Y qui ne jure que par l’identité forte d’une marque, son originalité, qui maîtrise et aime le storytelling et enfin qui assume ses plaisirs et toujours prête à partager ses émotions.

Parce qu’Internet est horizontal et que les médias ne l’ont pas compris !

C’est quelque chose de bête, mais il faut bien comprendre que les internautes n’ont pas du tout les mêmes rapports avec les marques depuis l’avènement des réseaux sociaux. Avant lorsqu’on souhaitait se plaindre auprès d’une marque, il fallait passer par des journaux qui traitaient 1000 demandes dans la journée ou envoyer un courrier, trié et jeté, au service des plaintes d’une marque. Bref, nous n’avions pas voix au chapitre. Aujourd’hui, c’est totalement différent, un simple tweet peut faire trembler une marque et même parfois remuer la bourse.

Beaucoup de journaux numériques ne l’ont pas compris et continuent de traiter les internautes comme ils le faisaient avec leurs lecteurs au XXème siècle. La tentative d’échange qu’est le commentaire a depuis longtemps été jugé comme inutile et destructeur. Et même si les journaux sont présents sur twitter ou facebook afin de relayer leurs informations, trop peu le font réellement pour dialoguer. Et comment peut-on prétendre créer un business sur le web lorsqu’on ne comprend pas ses usages ?

Si tu m’ignores, j’en ferais alors de même

L’un des plus gros électrochocs de ma vie a été la réplique du film Hôtel Rwanda. Un journaliste s’excuse auprès du protagoniste car il est en train de filmer les traces d’un massacre dans la ville. Don Cheadle répond alors : “Non, c’est bien que vous filmiez ça, les citoyens dans votre pays vont le voir et réagir en venant nous aider”. Joaquin Phoenix rétorque, écoeuré : “Vous croyez ?”

Combien de fois regardons-nous des informations en nous répétant les même mots idiots : “les pauvres, quel malheur !” Mais réagissons nous réellement ? Non. Dans les années 70, Seligman a réalisé des tests sur des chiens pour expliquer la résignation apprise. Divisés en trois groupes, le premier était simplement attaché puis libéré. Le second resté attaché et faiblement électrocuté, un levier pouvait lui permettre d’arrêter sa torture. Enfin le dernier n’avait pas cette possibilité. Les groupes 1 et 2 se remirent très vite de l’expérience. Le troisième groupe de chien a appris à endurer le traitement et développa des signes de dépressions chroniques. La deuxième partie de l’expérience fut bien plus impressionnante. Le même procédé fut appliqué, sauf qu’au lieu d’être attachés, les chiens devaient simplement sauter une clôture pour ne plus être électrocuté. Les chiens du groupe 3, ayant appris que rien ne pourrait arrêter les chocs, ne franchir jamais le mur, se contentant de gémir.

La même chose s’oppose aujourd’hui à notre génération comme à celle d’avant. Sauf qu’étant de nature plus participative, nous n’avons pas accepté de ne pas être écouté, et le troll dans les commentaires était né. Jusqu’à comprendre qu’en réalité, quelle que soit l’information communiquée, il n’y avait aucun dialogue avec les journalistes ou ceux impactés par l’article. nous avons donc appris à nous résigner. Et naturellement nous avons commencé par éviter les informations à la télé puis les journaux (papiers et numériques) jusqu’à nous dire que rien ne changerait jamais, alors à quoi bon ? Nous avons vidé le sens des médias, nous contentant de lire les titres des articles qui passent sur notre facebook, les partageant mécaniquement juste pour informer des amis sur un sujet qui nous tient à coeur.

Pour conclure

La nouvelle génération n’est pas fâchée avec l’information, au contraire, elle a soif de partage dès que cela touche profondément ses émotions ou son intérêt. Elle est désintéressée par ses émetteurs. On peut ainsi parler d’un dialogue de sourd. Alors que la génération Y aime partager, échanger et faire avancer les choses, elle est ignorée par des médias qui ne peuvent plus se permettre ce luxe. De plus, nos principales plateformes de fréquentation (facebook, twitter, google) l’ont bien compris et ne font rien pour redorer l’image des médias, préférant garder le trafic sur leur flux. Les médias auront donc un réel travail de fond a réalisé pour rétablir un dialogue positif avec la génération Y. Je leur conseille vivement cet article qui explique comment renouer le dialogue entre lecteur et journaux numériques en supprimant les commentaires. Le Washington Post, le New York Times ont créer un groupe d’étude “Coral project” qui a pour vocation d’imaginer de nouvelles formules d’interactions pour favoriser l’engagement du lecteur, et je leur conseille vivement d’inclure les problématiques des moins de 25 ans avec les médias pour ne pas définitivement perdre leur attention au profit des réseaux sociaux.