Pendant les repas

Dans le cadre de mes études à la Web School Factory, j’ai décidé d’étudier le design. Qu’est-ce que le design?

Le design est une notion complexe, pas toujours très claire et pas toujours bien définie.

À mon sens, le design est en quelque sorte la représentation graphique des théories élaborées par les sciences humaines. Par sciences humaines j’entends l’anthropologie, la sociologie, les neurosciences, l’ethnographie, l’ethnologie et toutes les sciences qui en découlent.

Un bon designer est quelqu’un qui étudie les comportements, les usages et les émotions du genre humain… et qui les comprend.
Voila pourquoi à la Web School Factory, en plus des cours de design, nous avons des cours de sciences humaines dont l’ethnographie.

« L’ethnographie est l’étude descriptive et analytique des mœurs et coutumes d’un groupe humain déterminé (techniques matérielles, organisation sociale, croyances religieuses, mode de transmission des instruments de travail, d’exploitation du sol, structures de la parenté). » Le Larousse

Mon premier sujet d’étude ethnographique est donc l’usage du numérique pendant les repas.
Avant de vous décrire mes observations et de vous exposer mes analyses, je souhaiterais vous expliquer pourquoi j’ai choisi ce thème.

Le repas est un moment essentiel, un rite que nous pratiquons depuis des millions d’années, avant même que l’homme soit homme.

C’est un moment où nous nous rassemblons, partageons, échangeons ou simplement prenons du temps pour nous.
Se nourrir fait partie des besoins fondamentaux communs à toutes les espèces animales et végétales. Ce moment nous relie à la nature, et malgré toutes les révolutions qu’a connu l’homme, il est toujours impossible aujourd’hui, de se passer de ce moment qui pourrait être considéré comme une perte de temps ou comme une faiblesse.

Faisons si vous le voulez bien un bref historique des révolutions qui ont marqué l’histoire de nos repas:

historique-comportement-repas

Il y a environ 800 000 ans, les premier hommes ont découvert le feu. On sait que c’est environ 500 000 ans plus tard que les hommes ont commencé à l’utiliser régulièrement, notamment pour faire cuire leurs aliments. Ceci a permis à l’homme de digérer plus facilement, ce qui entraîna de nombreux changements majeurs. Par exemple, cela a réduit la consommation d’énergie nécessaire à l’homme pour digérer ses repas. Cela a entraîné, génération après génération, millénaire après millénaire, l’augmentation de ses capacités cérébrales et de la taille de son cerveau. La conséquence de cette évolution a permis l’apparition de l’homo sapiens, il y a environ 170 000 ans.

La seconde grande révolution fût ensuite l’agriculture qui, bien que plus chronophage que la cueillette, a eu pour conséquence l’établissement de campements définitifs et l’instauration progressive de hiérarchies, d’ordres et de croyances complexes et abstraites.

L’industrialisation enfin, a permis de gagner un temps considérable dans la préparation des repas.

Qu’en est-il à l’heure du numérique?

Premier constat : le numérique n’a toujours pas fait disparaitre les repas.

Je me suis donc rendu dans des restaurants, des brasseries et des cafés… dans le but de regarder comment l’homo sapiens sapiens de 2016 à Paris, vivait la révolution numérique à l’heure des repas.

J’ai orienté mon analyse en fonction des groupes de personnes qui m’entouraient. J’ai donc classé les usages par groupes de 1, 2, 3, 4 et 6 personnes.

Second constat : même sans avoir fait disparaître nos repas, le numérique se révèle très présent pendant le temps qui leur est consacré!.. Car il est rare de passer aujourd’hui un repas entier sans se servir de son smartphone.

Voici mon analyse détaillée :

  • Les gens seuls : Lorsque l’on mange seul au restaurant, on se rend compte que (pour la jeune génération en tout cas), 70% au moins du repas se passe avec son smartphone. On mange seul, mais avec ses amis, alors même qu’il ne se trouvent pas dans le même endroit que nous. On s’en sert pour regarder des vidéos, parler sur Facebook, envoyer des sms, consulter les news sur Twitter (le journal 2.0).
  • Il est important de noter que ce phénomène est bien moins présent chez les personnes plus âgées pour qui le repas reste un moment sans téléphone.
  • Les couples et groupes de 2 personnes :
    À deux, les règles sont différentes, mais on observe un certain rituel.
    Tout d’abord, on se sert beaucoup moins de son smartphone que lorsqu’on est seul.
    On observe que la tendance est de faire des “pauses smartphone”, c’est à dire qu’en règle générale, on évite de l’utiliser, mais des pauses sont permises quand les deux intéressés en ressentent le besoin.
    Ces pauses arrivent très souvent à des moments clés, comme après le plat principal et avant le dessert. On s’en sert pour des besoins personnels et “urgents”. C’est à dire qu’on ne partage pas l’information consultée la plupart du temps, sauf si cette dernière concerne la personne en face de soi.
  • Les groupes de 3–4 personnes fonctionnent de manière similaire. À la différence près que l’on commence à observer ce que j’appelle “l’effet bulle”.
    Ce que je veux dire par là c’est qu’à la fin d’une discussion, une personne va se mettre quelques instants dans sa bulle, et laisser parler les deux autres pendant qu’elle consulte son smartphone. On s’en sert également pour des besoins privés, comme consulter ses emails ou ses messages. Il s’agit là encore d’un traitement urgent de l’information, c’est à dire qu’on ne cherche pas les détails mais on regarde si on a reçu un message que l’on attendait, ou encore si une nouvelle importante est tombée.
  • Dans les groupes de 6 et plus, le smartphone est toléré.

On observe alors différents types de comportements :

  • On l’utilise pour partager l’information, se montrer des photos, partager des news, vérifier ses dires sur Wikipédia par exemple. Le smartphone devient aussi générateur de discussions : on va chercher des nouvelles sur son smartphone pour lancer un sujet de discussion.
  • L’effet bulle est très présent, il est plus facile de se mettre dans sa bulle pendant plusieurs minutes, quand les discussions s’alimentent sans forcément nécessiter la présence active de tout le monde. Cependant, on observe que ces “bulles” éclatent au bout de quelques minutes, simplement par politesse ou par envie de revenir dans les discussions du groupe.
  • On observe aussi le phénomène du “check”, qui consiste simplement à sortir son smartphone (souvent sous la table), à le déverrouiller et à swiper de gauche à droite avant de le re-verrouiller et de le remettre dans sa poche.

Mais aujourd’hui nous le savons, le numérique gagne peu à peu du terrain sur tous nos usages. Samsung propose des frigos connectés, les wearable technologies nous donnent le nombre de calories gagnées et dépensées etc… et nous incite à optimiser notre consommation d’aliments… Et nous ne sommes qu’aux prémices de ce que le numérique va modifier sur notre corps lui-même.

En définitif, bien que le numérique n’ait pas supprimé les repas, il a tout de même profondément modifié la manière dont nous les vivons. Ne nous reste plus qu’à imaginer comment, dans quelques milliers d’années, notre corps et notre conscience en auront été impactés et modifiés…