“Recherche designer bénévole pour me faire un logo”, “Concours pour créer l’identité graphique de notre marque”,… Depuis des années ces demandes fleurissent sur les réseaux sociaux malgré la lutte acharnée de certains créatifs qui, malgré toute la pédagogie du monde, n’arrivent pas à faire changer les mentalités sur la valorisation de leur travail. La culture du gratuit, ou l’idée que les prestations (artistiques entre autre) peuvent être légitimement demandés gratuitement, en est la cause principale.

Illustration par Emmie Tsumura
Portfolio : https://emmie-tsumura.format.com/graphic-surveys

“La passion” ou “La visibilité” ne remplissent pas le frigo

Le plus souvent, les demandes de production gratuite viennent de particuliers ayant des projets personnels et peu de moyens. 

Quand ils sont confrontés à l’absurdité de leur demande, les réactions sont toujours les mêmes :

Pourquoi rémunérer la personne, vu que le travail artistique est à la base une passion ? Quelque chose que la majorité des gens fait gratuitement ? Pourquoi payer les gens quand je leur donne l’opportunité de faire ce qu’ils aiment tout en se sentant utile ? Certains osent même justifier cette demande par leur incapacité à rémunérer la production.

Au delà de l’absence d’éthique de ce genre de demande, cela pose d’autres problèmes bien plus préoccupants. Comme nous l’ont montré les auteurs, la viabilité des métiers artistiques au sens large dépend largement de la rémunération. Ceux-ci sonnent l’alarme depuis des années, cependant la situation n’évolue presque pas.

Or comment exercer son métier dans des conditions convenables quand les potentiels clients pensent demander une prestation pour lesquelles ils ne sont pas prêts à payer, ou bien se permettent de négocier déraisonnablement les tarifs sans voir le temps d’apprentissage et de travail derrière une oeuvre ?

Il y a de nombreuses causes qui nous ont fait arriver là et il n’est pas trop tard pour changer les mentalités. 

Illustration par Emmie Tsumura
Portfolio : https://emmie-tsumura.format.com/graphic-surveys

Le problème des artistes amateurs

Ca y est, vous venez de rentrer dans une école d’art et commencez seulement à apprendre comment perfectionner votre technique et vous professionnaliser. Ou bien, tout votre entourage vous complimente sur vos dessins, et les posts de ceux-ci sur les réseaux sociaux commencent à attirer quelques personnes.

C’est donc tout naturellement que vous allez vous lancer dans les « commissions », c’est à dire prendre les commandes de gens intéressés pour avoir leur propre dessin, personnalisé, dans votre style graphique.

Souvent bradé très fortement, avec différentes formules afin de réduire les prix parfois jusqu’à moins de 10 euros. C’est peu mais cela ne vous dérange pas, vous ne comptez pas vivre de ça, du moins pas maintenant.

Oui mais voilà : vous êtes en concurrence directe avec les personnes qui vivent de cette activité, et fixer vos prix si bas est loin d’aider les personnes à rendre l’art accessible comme vous pourriez le penser. De plus en plus d’artistes lancent l’alerte quant à la précarisation de leur métier, et les tarifs exagérément bas des amateurs y contribuent en partie. Or, si les artistes professionnels ne peuvent plus en vivre, il n’y aura plus que des artistes suffisamment aisés pour se permettre de ne pas gagner d’argent de leur art. On assistera ainsi à une diminution dans la quantité d’art produite et surtout dans sa diversité et sa capacité à représenter tout le monde, tous les milieux. A terme, l’art deviendrait une chose réservée à un petit nombre de personnes, par les plus riches pour les plus riches.

« Mais moi je veux pas arrêter de dessiner, et c’est bien pratique de se faire quelques dizaines d’euros par mois… »

Pas question d’arrêter de dessiner ici, la solution pourrait même vous plaire : reprenez confiance en vous et rehaussez vos prix. De nombreux artistes amateurs ou peu confiants fixent leurs tarifs en partant du principe que personne ne voudra payer plus. Ceux-ci ont pourtant souvent leurs techniques de prédilection qu’ils maîtrisent à la perfection, tout un univers graphique qui leur est propre, réfléchi et travaillé, ainsi que de nombreux autres atouts. Il faut ainsi trouver le juste milieu entre la tarification professionnelle et la vente à perte.

Illustration par le site amylee.fr
https://www.amylee.fr/2015/04/artiste-amateur/

Vous êtes responsables, moi aussi

Si ces pratiques ont poussé ces métiers vers la précarité, c’est bien que ces façons de penser sont bien plus communes que l’on ne le pense. Celle-ci a tout d’abord été utilisée par les particuliers. Les entreprises et les influenceurs ont ensuite suivi la marche, notamment sous forme de concours. Ils ont ainsi progressivement démocratisé la culture du gratuit. Appelé “travail spéculatif”, cette pratique consiste pour une marque, par exemple, à proposer un concours à un large public, afin d’effectuer une prestation qui devrait être rémunérée en temps normal : nouveau design, thème sonore, logo, fan art… Ainsi, la marque se retrouve avec des dizaines voire des centaines de prestations, parmi lesquelles elle pourra se permettre de choisir celle qui lui plaira le plus et récompenser son auteur. Toutes les autres personnes ayant travaillé sur ce concours repartiront bredouille. 

Ainsi, nous ne pouvons que vous encourager à boycotter ce genre de concours qui, en plus de précariser ces métiers, négligent l’importance de la relation et la communication entre un artiste et son client afin de créer ensemble un produit qui répondra précisément aux besoins et aux envies des deux parties. 

Exemple d’actualité : Jul propose à ses fans un concours afin qu’ils réalisent pour lui la cover de son prochain album. Le gagnant remporte un prix.

Mais alors, que faire ?

Enfin, chacun de nous avons un rôle à jouer dans le soutien des professions artistiques : il existe aujourd’hui de nombreuses façons de rémunérer un créateur. 

Tout d’abord, payez vos commissions au juste prix. Derrière ce simple dessin, il y a de nombreuses heures de formation, du matériel, et plus de temps que ce que vous pourriez imaginer. 

Il y a également de nombreux créateurs qui proposent leur contenu gratuitement et pour lesquels la rémunération dépend du bon vouloir de leur public. Si jamais vous souhaitez les soutenir, beaucoup ont mis en place des plateformes telles que patreon, qui permettent de donner un même montant chaque mois contre des contreparties (contenu exclusif, contact privilégié avec l’artiste, avant-premières…), ou encore uTip qui vous permettra de regarder une pub dont les bénéfices seront reversés à l’artiste.